L’idée d’évaluation auto-référencée se développe, s’ancre dans la profession et s’invite dans la réflexion autour de l’écriture des textes institutionnels organisant la discipline EPS (exemple du projet de programme pour les lycées en 2019). Cet article propose un regard critique sur cette idée en s’appuyant sur des travaux scientifiques et des données politiques mais sans les rejeter…
Les tenants de l’auto référencement mettent en avant l’individualisation et la personnalisation des parcours scolaires, introduisent la notion de contrat, évacuent la question des normes externes et s’opposent à la place et la signification de la compétition. Attardons-nous sur ces idées développées dans les discours pédagogiques et les politiques éducatives.
Ces notions relèvent du sens commun autour de la « nécessaire » adaptation de l’institution scolaire à la « diversité » des élèves et de leurs caractéristiques (talents, besoins, rythmes, capacités, motivations…). « La réussite de tous devient alors la découverte par chacun de son potentiel, de son excellence (ou encore de ses limites) propres, et l’école doit lui permettre d’en donner la pleine mesure, au-delà des exigences communes, assimilées à un carcan nuisible aux individus. » (J-Y Rochex).
C’est l’idée de service public qui recule au profit d’une logique d’offre et de contrat.
Les élèves sont ainsi soumis aux injonctions de construire leurs projets et parcours de formation, à être entrepreneurs de leur propre carrière scolaire. Mais tous·tes les élèves et leurs familles ne sont pas en mesure de soutenir ces injonctions et celles et ceux dont les conditions de vie et de scolarisation sont les plus fragiles, se trouvent confronté·es à des processus de précarisation et de décrochage. « Élargissement des possibles pour les uns, précarité, ségrégation et contrôle social pour les autres : à l’école comme en dehors, l’individualisation sur le mode néo-libéral renforce les inégalités au détriment des sujets sociaux les plus fragilisés » (J-Y Rochex).
C’est l’idée de service public qui recule au profit d’une logique d’offre et de contrat…
Dans le livre « EPS et culturalisme » du centre EPS et société, Jean-Yves Rochex signe un article « Apprendre pour produire ses propres normes » dans lequel il s’oppose au rejet de la confrontation à des normes externes. « Il n’y a jamais d’activité sans objet : pour ce qui nous concerne, cela signifie que les apprentissages sont nécessairement des activités qui portent sur des pratiques discursives, conceptuelles, artistiques, techniques, sportives, etc… qui sont des activités normées…. Pour être sujet, il faut accepter d’être assujetti à la norme, au sens de la normativité que je viens de définir et non encore une fois de la normalisation, de se confronter aux différents registres de normativité propres à la culture. C’est à cette condition que le sujet humain peut devenir normatif, au sens que Canguilhem donne à ce terme, c’est à dire producteur de ses propres normes. »
Autrement dit, la finalité est bien que l’individu soit capable de créer ses propres normes, mais il ne peut le faire que par l’intégration des normes extérieures à lui. Si nous voulons que l’élève soit en capacité de créer et d’évoluer avec ses propres normes, il faut qu’il ait été confronté à d’autres et donc aux normes socialement admises, significatives.
Nous relevons enfin une contradiction sur la question de la compétition. Dans les articles sur l’auto référencement, les auteurs raillent la culture compétitive pour finalement s’en servir lorsque les élèves ont compris l’auto-référencement. Nous sommes alors d’accord pour affirmer que la compétition peut être source d’émulation et non de concurrence, de chacun pour soi, d’élimination des plus faibles… Afin de limiter les effets potentiellement problématiques de l’auto-référencement, pédagogiquement, on confronte les élèves à de l’hétéro-référencement !
La critique de l’auto-référencement, justifiée, de notre point de vue au plan politique, ne nous amène pas à rejeter l’outil pédagogique qui est un moyen pour un élève de valider ses progrès avec des évaluations formatives qui jalonnent une séquence d’apprentissage. En revanche, pour les épreuves certificatives (Bac, DNB), le recours à des référentiels nationaux conçus avec sérieux à partir de données quantitatives et statistiques précises (recherche des écarts-type) est à privilégier. Nous encourageons également les équipes enseignantes à poursuivre la réflexion sur des types d’épreuves qui permettent de réduire les différences physiologiques et physiques.
Pour finir, il nous semble que déterminer un niveau de performance exigeant et fixé nationalement est un point d’appui essentiel pour améliorer les conditions de travail des enseignant·es et d’apprentissage de nos élèves qui passent par la satisfaction de nos revendications en termes d’horaires, de durée des cycles d’apprentissage, d’équipements sportifs et de formation initiale et continue.